La santé constitue un pilier, une interface essentielle de la politique de la ville et des territoires. D’une part, parce que la perception de la santé des habitants influence leur rapport à d’autres domaines de l’existence : l’emploi, l’éducation, la vie sociale… ; D’autre part, parce que toutes les politiques peuvent impacter la santé : l’environnement, l'habitat, les transports, l’éducation, etc.
A bien y réfléchir, de nombreux quartiers dits "prioritaires" peuvent être identifiés comme des espaces "malades", "stressés", ou encore "épuisés". Souvent relégués loin des centre-villes. Pas toujours bien desservis. Bénéficiant d'une mauvaise image. Situés à proximité de structures industrielles ou des grands axes routiers/ferroviers, ils ne respirent pas bien, leurs habitants ont une espérance de vie en bonne santé inférieurs aux autres, les espaces publics sont parfois dégradés ou mal entretenus, le rapport à l'alimentation saine est encore lointain... Bref, on parle de territoires où se situe une majorité de logements sociaux et de personnes en situation de précarité. Les espaces verts ne sont souvent pas valorisés et restent appréhendés par le prisme de la valeur foncière des mètres carrés. Nous ne serons donc pas surpris si ce sont ces mêmes territoires où le niveau d'obésité des enfants est plus élevé qu'ailleurs et où la prévalence des maladies chroniques dépassent souvent les moyennes nationales.
Comment se fait-il alors que les démarches en santé ne soient encore mieux intégrées dans ces quartiers ? Si les territoires "en mauvaise santé" sont considérés comme des espaces fragilisés, comment faire de la santé un enjeu transversal de la programmation urbaine ? Peut-elle avoir une fonction thérapeutique qui puisse prendre soin des habitants? Si oui, comment s’y prendre ?
Doit-on dépasser ou se focaliser uniquement sur l’échelle de quartier ?
Analyser une politique santé à l’échelle d’un territoire se conçoit parfois en analysant le ratio de professionnels de santé par habitants ou en se focalisant sur la prévalence de pathologies chroniques pour telle catégorie de population. L’état de santé est caractérisé par plusieurs indicateurs : des indicateurs objectifs de mortalité, de morbidité et de consommation de soins et des indicateurs subjectifs tels que l’état de sante perçu. Nous ne remettons pas en cause le principe d’utilité de ces indicateurs mais cette approche ne nous semble pas suffisante pour les territoires dont on parle.
Alors de quelle santé parlons-nous ? La santé d’une population n’est déterminée par son système de soins qu’à hauteur de 12 à 20 %, et les 80 % restant sont étroitement connectés aux enjeux environnementaux et sociaux. L’état de santé des habitants d’un quartier est donc la conséquence de plusieurs déterminants. Ces déterminants sont issus de facteurs biologiques, mais aussi comportementaux, environnementaux, ou sont liés à la qualité, l’accessibilité du système de santé ainsi qu’au recours des habitants à ce même système.Les travaux scientifiques ainsi que la parole des habitants nous le démontrent chaque jour un peu plus.
Cette approche multi-dimensionnelle nous rapproche sensiblement de la notion de qualité de vie mais elle nous invite également à nous pencher sur le concept d’inégalités sociales de santé. Est-ce à dire que l'aménagement du territoire peut réduire des inégalités de santé ? La réponse est oui mais… la réduction des inégalités de santé passera par une attention particulière portée aux environnements et la capacité à les valoriser (pas seulement à travers des outils numériques!). Cependant, il faut garder en mémoire que toutes les vulnérabilités ne sont pas toutes d’origine sociale.
En analysant les facteurs du renoncement aux soins dans certains quartiers, on comprend que les enjeux ne situent plus uniquement sur la proximité des services mais bien sur des problématiques d’ordre sociale; comme la capacité des personnes à mobiliser les services de santé. Sont souvent évoquées l’incompréhension des dispositifs, la distance sociale voire la défiance entre populations et services de santé
Plusieurs questionnements alimentent nos travaux :
Peut-on améliorer la santé d’un quartier sans appréhender les usages des habitants et la place de la biodiversité ? Comment interroger des habitants ne se déplaçant plus aux réunions publiques ? Comment alors concilier une stratégie de réduction des inégalités et une programmation urbaine favorable à la santé ? Peut-on considérer un programme de renouvellement urbain comme une stratégie de santé ? Dans cette optique, peut-on envisager la réhabilitation des espaces verts comme une nouvelle offre de santé ?
Beaucoup de questions sont posées. Les réponses à apporter vont prendre des dimensions variables d'un territoire à l'autre. Il faut l’admettre. Elles imposent une réflexion transdisciplinaire qui permet de mieux assimiler les impacts de nos environnements sur les modes de vie des habitants. A NovaScopia, nous travaillons donc à développer le concept d'urbanisme thérapeutique comme un moyen de lutter contre les inégalités de santé à travers un aménagement du territoire qui puisse prendre en compte à la fois les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique et les habitudes de vie des populations les plus fragiles.
Quatre enjeux peuvent résumer ce concept :
- « Plus d'équité » = une recherche permanente des conditions d’accès aux services des populations les plus fragiles. Face aux risques environnementaux, la question de la fréquence et de la durée d’exposition tient une place particulièrement essentielle pour protéger les habitants les plus fragiles (en particulier les seniors et les enfants), et devrait donc faire l’objet d’une attention particulière dans les approches à conduire. L'accès à l'alimentation saine et à la lutte contre la sédentarité font aussi partie des enjeux prioritaires.
- « Plus de nature » = une nouvelle place pour les espaces naturels, la préservation de la biodiversité. Aujourd'hui encore les approches relatives aux espaces naturels ne sont que très rarement associées à leurs impacts sur la santé des habitants. Or, les conséquences en matière de santé mentale sont de plus en plus visibles. La crise sanitaire que nous subissons (et les périodes de confinement qui y sont associées) nous rappelle ô combien notre qualité de vie dépend souvent de liens de proximité avec des espaces naturels (Forêts, bords de mer, lacs, rivières...).
- « Moins d’artificialisation des sols » = Une plus grande prise en compte des milieux naturels. De nombreux travaux scientifiques dégagent un consensus sur les liens étroits en termes de santé entre la présence d’espaces verts et le bien-être individuel et collectif. Ils semblent vecteurs à la fois de réduction de stress et d’augmentation de l’activité physique. Ils déterminent également une amélioration du cadre de vie et de l’état de santé ressenti.
- « Moins de minéralité » = Un moyen efficace de lutter contre les îlots de chaleur urbain. Le climat est un déterminant de santé à plusieurs égards. Il peut agir sur l’état de santé des individus de façon directe (par exemple en cas de chaleur accablante ou de froid intense), indirecte (par la modification des écosystèmes qui entraînent à leur tour l’émergence de nouvelles maladies) ou encore influencer d’autres déterminants dont les déterminants sociaux de santé (perte de revenus lors d’un événement extrême par exemple). Les individus touchés ne sont pas tous égaux. Le réchauffement climatique frappe toute la France, mais des écarts existent entre les régions. La recherche scientifique nous indique que les grands centres urbains sont particulièrement affectés, comme en témoigne l’augmentation du nombre de jours où la température est supérieure à 30 °C dans plusieurs grandes villes françaises. En résumé, on constate ici, comme ailleurs, une situation climatique qui peut varier beaucoup, même sur un territoire relativement petit, et influer différemment sur les populations selon la démographie et la géographie locales.