La lutte contre les inégalités sociales de santé repose majoritairement sur les leviers sanitaires et sociaux ; or ceux-ci ne sont pas suffisants. Beaucoup de problématiques s’avèrent liées au rapport des personnes à leur logement et notamment à des situations d’isolement. Ce sujet est d’une grande complexité et souvent peu visible. Pourtant, il est essentiel de s’y intéresser : la compréhension de nos modes d’habiter se révèle en effet être l’un des derniers remparts avant l’exclusion.
Outre l’importance des conditions de logement, la crise sanitaire a ainsi révélé les carences de l’action sociale ; sans intervention coordonnée sur le secteur de l’habitat et du logement, les actions sanitaires et sociales ne parviennent pas à toucher les publics qui en ont le plus besoin.
Cela nous amène à réinterroger plus largement les liens entre santé et habitat, et le rôle des politiques de l’habitat et du peuplement dans la promotion d’un cadre de vie favorable à la santé et au bien-être. Aussi, cela invite à imaginer une réponse méthodologique dans le cadre de l’élaboration d’un Programme Local de l’Habitat (PLH).
Pourquoi intégrer la santé dans les politiques locales de l’habitat, et comment peuvent-elles contribuer à améliorer la santé et les conditions de vie des habitants ?
1. La nécessité d’une action coordonnée entre habitat et action sociale pour répondre aux besoins des publics fragiles.
A travers un volet sur la requalification de l’offre et l’amélioration du parc de logements existants, les politiques de l’habitat permettent de traiter la question de l’habitat indigne, allant parfois jusqu’à identifier des situations d’insalubrité ou de péril. Elles abordent également la question des besoins des plus fragiles à travers une approche par publics dits « spécifiques ».
Pour autant les acteurs sanitaires et sociaux au contact des publics concernés, restent peu associés à ces réflexions. On constate généralement un manque de concertation entre les services santé/habitat/urbanisme, et plus globalement une absence de dialogue avec les acteurs de la santé. Le cloisonnement des politiques publiques constitue de fait, un frein à la mise en place d’actions coordonnées pour garantir leur efficacité.
Les expériences d’Evaluation d’Impact sur la Santé (EIS) menées par NovaScopia depuis 2015, ont autant prouvé l’intérêt d’une démarche transversale entre santé et urbanisme, que la capacité des différents services à coopérer et travailler entre eux.
De la même façon, une plus grande association des acteurs de la santé à l’élaboration des politiques locales de l’habitat apparaît donc comme un préalable (possible et) indispensable, et constitue un levier important pour travailler plus globalement sur la qualité de vie et le bien-être des habitants.
2. Replacer le bien-être au cœur des stratégies habitat, gage d’attractivité et de durabilité pour les territoires
Chaque territoire dispose d’atouts propres en termes de cadre de vie, à mettre en adéquation avec l’évolution des modes de vie et d’habiter.
Si elle se fixe des objectifs quantitatifs et qualitatifs pour répondre aux besoins en logements à relativement court terme, une politique de l’habitat s’inscrit nécessairement dans une vision prospective : construire/réhabiliter dans 5 ans, c’est construire/réhabiliter pour les 50 prochaines années.
Or, les façons d’habiter évoluent, de façon structurelle, spontanée ; parfois s’adaptent de façon contrainte et accélérée en traversant un contexte particulier. La crise sanitaire liée au Covid-19 en est le parfait démonstrateur et requestionne la dimension de proximité, le télétravail et les mobilités, le bien-être des habitants et en particulier des plus vulnérables.
L’élaboration d’une politique locale de l’habitat fait partie intégrante d’une réflexion plus large qui vise à :
- Répondre aux besoins actuels et à venir, liés notamment au vieillissement de la population et aux évolutions sociétales (famille, télétravail…)
- Renouveler l’offre, en termes de produits et de formes d’habitat ;
- Lisser les inégalités sociales et territoriales, en lien avec la politique de peuplement (Conférence Intercommunale du Logement, Convention d’Attribution) ;
- Définir une stratégie de développement et d’aménagement territoriale cohérente ; notamment, densifier intelligemment pour rapprocher habitat, équipements et services, et limiter les déplacements ;
- Entrer dans la transition énergétique (sobriété du bâti…), préserver l’environnement et la santé de tous.
3. L’habitat, un déterminant de santé au sens large
Les interactions entre conditions de vie, logement et santé sont reconnues et acceptées par la communauté scientifique. L’habitat est « l’aire dans laquelle vit une population ». Il se compose de plusieurs espaces de vie (logements, quartier, ville ou commune) reliés entre eux, ainsi que d’un ensemble de services qui permettent à chacun, selon son âge et son statut social, de vivre au quotidien (Conseil Economique Social et Environnemental, 2017).
Le logement constitue un des grands déterminants de santé, entendue ici dans sa définition extensive apportée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ; « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». La grille de lecture suivante, issue des réflexions de NovaScopia, illustre les différentes composantes pour analyser l’habitat / logement comme un déterminant de la santé.
Les approches « habitat / santé » sont aujourd’hui le plus souvent ciblées sur un champ d’intervention précis (habitat indigne par exemple). A l’occasion de l’élaboration d’un PLH, l’articulation « habitat / santé » doit progressivement dépasser la seule question du logement.
L’émergence récente des démarches d’Evaluation des Impacts en Santé » (EIS) et d’Urbanisme Favorable à la Santé (UFS), est à cet égard instructive pour aller vers une stratégie habitat qui soit productrice de santé sur un territoire.
Ces démarches auxquelles NovaScopia participe, témoignent par exemple de la volonté de mieux prendre en compte les nuisances sonores (dans le logement et à l’extérieur), de valoriser les abords en pied d’immeuble et de s’interroger sur les leviers de cohésion sociale et de convivialité entre voisins.
Par ailleurs, les enjeux actuels liés à la transition énergétique mettent en tension plusieurs référentiels de l’habitat : l’habitat « respectueux de l’environnement » et l’habitat « respectueux de la santé de ses habitants ». En d’autres termes, comment concilier habitat « performant » et santé des occupants ? Comment densifier l’habitat tout en construisant un environnement urbain soucieux des impacts sur la santé et le confort des habitants ?
Celui qui habite un lieu, est celui qui a un chez soi et qui peut y vivre dignement. Habiter son logement, c’est donc d’abord aspirer à un habitat de qualité, adapté à ses besoins et à ses ressources. C’est aussi porter une attention aux espaces publics qui entourent le logement. Leur configuration, leur localisation, leurs caractéristiques environnementales seront déterminantes dans la capacité à encourager ou non les mobilités douces, les activités physiques, et à créer des espaces propices aux rencontres. Les problématiques de l’habitat impliquent de casser des cloisons. C’est un sujet inter-champ, inter-professionnel, inter-institutionnel, qui pose avec acuité la question de l’articulation entre le sanitaire et le social. Devant la gravité de certaines situations, plusieurs phénomènes sont observés :
- La réticence des personnes et de leur entourage voire des professionnels à reconnaître la situation (ou même son déni), retarde le recours aux aides.
- Les difficultés rencontrées par les personnes dans leur vie quotidienne sont marquées par une incapacité à entreprendre et à organiser l’action, alors qu’elles paraissent aptes à la réaliser.
- L’isolement et la rupture des liens sociaux, voire des liens familiaux, sont fréquents, en raison des troubles de la communication et de la relation.
- Pour une même personne, la situation peut varier considérablement dans le temps, selon son parcours, l’évolution de ses troubles et son environnement.
Située à la frontière de l’action sociale, urbaine, politique, médicale ou encore psychologique, il existe une interrogation quant à ce que peut-être une éthique de l’intervention devant le dilemme auquel font face les professionnels de terrain : intervenir de manière coercitive et traumatique afin d’éviter le péril qui guette, à savoir la mise en danger d’enfants ou le décès de la personne, ou se désengager trop rapidement au-devant d’un refus de soin massivement exprimé, associé à une hostilité parfois franche à l’égard de toute tentative d’aide ou d’accompagnement.
Comment traduire concrètement les enjeux de santé dans un PLH ?
Prendre en compte la santé dans l’élaboration d’un Programme Local de l’Habitat implique de se détacher d’une entrée par offre (volume, typologie de logements à produire, niveaux de prix…) et par publics, pour développer une approche plus sociologique centrée sur les besoins des habitants et leurs attentes en termes de qualité de vie, conditions de vie, d’habiter.
Différentes réponses méthodologiques peuvent être apportées :
1. Élargir le tour de table tout au long de la démarche
Dans le processus, cela suppose de monter des instances de gouvernance plus transversales (y compris dans la dimension politique), pour favoriser une réflexion interdisciplinaire et faciliter une action mieux coordonnée entre les champs de l’habitat, de la santé et de l’action sociale (hébergement et urgence).
Cela se traduit concrètement, par de nouveaux acteurs à interroger et associer aux réunions et ateliers en phases diagnostic et programme d’action. Cela comprend notamment les habitants et usagers du territoire, encore peu mobilisés sur ce type de démarche, pour mieux cerner les besoins.
2. Intégrer des indicateurs de « qualité de vie résidentielle » dans le diagnostic
Au-delà des analyses statistiques socio-démographiques utiles au PLH, d’autres sources de données peuvent être mobilisées pour appréhender les caractéristiques du territoire sous le prisme de la qualité de vie, et prendre en compte les enjeux santé/bien-être dès la phase de diagnostic.
L’objectif est de dresser un profil « qualité de vie » pour valoriser et positionner le territoire au regard d’indicateurs illustratifs des enjeux de santé et bien-être. Différents secteurs du territoire peuvent ainsi être analysés à travers une dizaine d’indicateurs complémentaires ; par exemple, la part de logements en suroccupation, le niveau de confort, la part de logements énergivores, la part de population habitant dans des zones peu /très altérées (air/bruit), la qualité de l’eau potable, la part des espaces artificialisés, ou encore « l’accessibilité potentielle localisée » aux médecins généralistes.
3. Différents leviers en phases Orientations et Programme d’Action pour contribuer à réduire les inégalités de santé.
Ce qui fait qu’un habitat est qualitatif, source de bien-être, ce n’est pas seulement le logement en tant que tel mais aussi tout ce qu’il y a autour : espaces verts et espaces publics, équipements et services de proximité, la présence ou non de nuisances environnementales etc.
En termes de stratégie résidentielle cela suppose de concentrer la production de logements autour des centralités existantes, pour favoriser notamment un rapprochement de l’offre de soins. Les grands enjeux de soutenabilité (santé, bien-être et cadre de vie ; prospérité et attractivité territoriale, etc.) et les catégories de déterminants de la santé influencés par les choix d’urbanisme (ambiances urbaines, accès aux services…) étant étroitement liés.
D’autre part, il s’agit de définir des actions sur l’offre nouvelle de logements, non plus seulement en termes de typologies mais de conditions de vie. C’est-à-dire, les prestations attendues pour améliorer le confort de vie dans le logement, dans l’immeuble, au-delà des règlementations ; les aspects qualitatifs tels que l’isolation phonique et thermique, l’orientation et l’exposition, la modularité des pièces, etc. Et à l’échelle de l’îlot / du quartier, les aménités à trouver ou développer dans un environnement proche pour offrir un cadre de vie de qualité.
Ainsi dans la stratégie foncière, différents critères pour des environnements de vie favorables à la santé peuvent constituer de nouveaux outils d’aide à la décision : rayon d’accessibilité des commerces et services, des parcs et espaces naturels ; risque d’exposition aux nuisances environnementales ou de phénomène d’îlots de chaleur urbain…
C’est bien dans l’articulation des échelles du logement et de son environnement, autant que l’articulation des politiques habitat et santé, que se situent les facteurs de réussite.
Conclusion
Le Programme Local de l’Habitat est donc un document stratégique mais c’est aussi un moyen pour aborder des actions concrètes dans le logement et trouver des solutions adaptées aux publics isolés. Bien que souvent connues et localisées, de nombreuses situations se répètent et interpellent les acteurs souvent impuissants pour répondre à la complexité et à la fragilité sociale des personnes. La réponse proposée tant qu’elle s’organise en ordre dispersé, intervient dans l’urgence et s’attache aux symptômes. La gravité de certaines situations vient bousculer les pratiques des professionnels de santé, du social, de l’habitat et aussi des positionnements politiques. Comment aller vers ces individus qui ne sont pas demandeurs ? Comment tenir les paradoxes ? Comment se frayer un chemin entre la médiation et la coercition ? Comment concilier une réponse dans l’urgence et un accompagnement dans la durée ?
Notre expérience des politiques sanitaires et sociales nous invite à partager le constat suivant : il existe souvent une difficulté d’intervention face à l’absence de demande d’aide. On peut alors avoir deux attitudes : soit on abandonne le terrain, soit on intervient trop brutalement. La solution, s’il y en avait une, serait de naviguer à plusieurs entre ces deux écueils ; c’est un compromis, c’est subtil, c’est tout sauf simple, c’est fragile, c’est un accompagnement sur des années auprès de personnes fragiles. L’évacuation du logement est caractéristique de ces difficultés : elle ne fait que diminuer les risques immédiats pour le voisinage ou pour la personne, sans pour autant résoudre les problématiques.
L’acteur de premier rang, la collectivité concernée et/ou le travailleur social avec ou sans le professionnel de santé sont mis face à la situation par la pression sociale. Ils cherchent à agir avec les outils dont ils disposent, pour faire cesser la nuisance et/ou pour mettre la personne et son environnement à l’abri du risque. Une fois ces mesures d’urgence prises si elles se justifient, ils se trouvent le plus souvent impuissants pour proposer une solution digne et durable. A ce stade, aucun acteur seul ne détient la clé de la stratégie d’action à construire avec le ménage, et les actions diffèrent selon la nature de l’activité professionnelle exercée.
Une plus grande coordination des acteurs, de la santé, du social, de l’habitat, est attendue dans les territoires où souvent les inégalités se cumulent. Dans cette optique, les travaux portés par l’ANRU sont très encourageants. Depuis quelques années, et souvent en coopération avec les Agences Régionales de santé, un soutien financier et logistique permet aux collectivités de mieux intégrer la santé dans les projets de renouvellement urbain (par le développement des Evaluations d’Impacts en Santé notamment).
Enfin, la question du « comment on habite la ville », a déjà une nouvelle résonnance avec les mesures d’adaptation au changement climatique. Face aux risques environnementaux, la fréquence et la durée d’exposition tient une place particulièrement essentielle pour protéger les habitants les plus fragiles (en particulier les seniors et les enfants), et devrait donc faire l’objet d’une attention particulière dans les approches à conduire. Les problématiques de santé et de transition écologique sont désormais prises en compte dans l’ensemble des politiques publiques. Il s’agit maintenant de conforter les synergies entre politiques d’aménagement durable et de santé. Ainsi, les élus autant que les techniciens, les secteurs publics autant que le secteur privé ou mixte sont-ils concernés par ces défis.