Mieux prendre en compte les signes de vulnérabilité de la personne… et de son logement.
Au regard des enquêtes menées par NovaScopia et des récents constats sur les obstacles existants en matière de repérage de l’habitat indigne, nous souhaitons ici mettre l’accent sur les limites d’une approche centrée principalement sur l’usage de FILOCOM et du volontarisme des occupants comme seuls repères de l’intervention. Il y a aujourd’hui nécessité de mieux prendre en compte les signes manifestes de la vulnérabilité dans une perspective de prévention des risques et d’accompagnement. Cela est un effort essentiel tant les ménages concernés sont souvent dans des situations « incasables ». La pluralité (et l’augmentation ?) de ses situations révèle ainsi les limites du dispositif actuel d’aide sociale et/ou d’aide au logement. Elle nous incite également à militer pour une convergence des politiques de LHI et celles dédiées aux personnes âgées et personnes en difficultés sociales.
La difficulté de mener deux mouvements parallèles
Un mouvement de convergence des politiques, notamment en ce qui concerne l’aide sociale, le maintien à domicile et l’habitat ; et un mouvement de sensibilisation sur les conditions de dégradation d’un habitat.
Dans cette perspective, la parole des professionnels est très utile car elle permet de mettre en évidence les enjeux communs à un plus grand repérage des populations vivant en habitat indigne. Cela revient à étudier plus finement le parcours des ménages les plus précaires pour considérer l’impact sur les conditions de logement avec un nouveau regard. Raisonner en termes de parcours, c’est penser la situation de chacun comme singulière, indépendamment des grandes catégories dans lesquelles s’inscrivent les vulnérabilités que subissent les personnes ; Cela revient aussi à penser la lutte contre l’habitat indigne comme un processus et non pas comme un état ; prendre en compte une pluralité de secteurs professionnels (santé, social, sécurité…) et pas seulement la dimension réglementaire et juridique.
Plusieurs dimensions ont été mises en relief lors de nos travaux : la dimension organisationnelle, la représentation de soi, la dimension éthique.
Les enjeux organisationnels : décloisonner, coordonner, sensibiliser, capitaliser
Comment passer d’une logique de repérage à une logique de parcours ? Cela implique de prévoir et diffuser une méthode selon la nature de l’activité des acteurs « entrants à d domicile ». Selon l’acteur du repérage de l’habitat indigne (RHI), ce recueil des besoins est multiple. Il prend une forme différente selon la nature de l’activité professionnelle. Une charte d’engagement des acteurs est à étudier. Comme nous l’avons soulevé précédemment, la demande d’aide ou le signalement n’est pas exprimé par les personnes les plus fragilisées, les plus concernées par une situation d’habitat dégradé. Il doit alors s’appuyer sur des compétences professionnelles pluridisciplinaires (Aides-soignantes, assistantes sociales, pompiers, policiers pour ne citer qu’eux.). Il s’agit ainsi de trouver des réponses personnalisées et souples, de réduire le cloisonnement des interlocuteurs et d’accroitre la variété des réponses. Une telle volonté est aussi au cœur des politiques actuelles qui, dans un contexte de pénurie de moyens et d’augmentation de la demande, s’efforcent d’améliorer la coordination des acteurs sanitaires, médicaux, liés à la politique d’habitat au niveau des territoires.
Quels sont les freins à cette « logique de parcours » et quel type de solutions implique-t-elle ?
Avant la création des Plans Départementaux, un problème de lisibilité de l’offre et la complexité du système de lutte contre l’habitat indigne générait des ruptures fréquentes dans le processus allant du repérage au traitement.
Le témoignage des professionnels met en évidence des freins culturels au développement d’une coordination. Il existe une différence de culture entre le monde du soin et celui des services sociaux ou encore ceux liés à la sécurité.
La culture du soin et celle de la sécurité s’exprime sur des temps relativement courts. La culture sociale et celle de la protection est plutôt sur des temps longs. C’est la logique d’un accompagnement, d’un parcours de vie, d’une trajectoire. On observe également une plus grande prise en compte de l’environnement de la personne, de son histoire. Enfin, le regard du technicien « habitat » va quant à lui se focaliser plutôt sur le bâtiment, les aspects techniques, réglementaires, la sécurité des locaux.
Au-delà, du problème de culture, on observe une méconnaissance chez les missions des professionnels. Cela peut générer parfois « un syndrome de la patate chaude » qui se caractérise par le transfert d’un dossier compliqué d’un service vers un autre.
D’un point de vue organisationnel, raisonner en termes de parcours suppose donc de décloisonner, coordonner, sensibiliser et capitaliser.
Mieux repérer l’habitat indigne sur le territoire implique donc un changement de paradigme. L’évaluation à domicile semble indispensable. Il faut donc s’appuyer sur les professionnels « entrants » même s’ils ont des casquettes multiples. A terme, cela permettra une prise en compte plus fine des besoins de la personne et un accompagnement sur le long terme indispensable.
Les freins liés à la représentation de soi (refus d’aides, isolement …)
« La dame à un moment donné était dans le déni, aprèselle a pris conscience du problème. Des fois c’est délicat, la personne a ses habitudes, c’est son lieu de vie! La dame dont on parle a toujours vécu là. Et puis partir, mais pour aller où? »
La question du refus d’aide ou celle du renoncement aux accompagnements proposés par les différents acteurs est au cœur du repérage de l’habitat indigne. « Si l’habitat indigne est repéré, cela n’implique pas pour autant que la personne accepte de l’aide. »
S’interroger sur les conditions de vie en habitat indigne revient à s’interroger sur un processus, sur des transitions, sur des parcours sociaux difficiles… Le passage de conditions de logement décentes à la vie en habitat indigne implique de composer avec un sentiment de honte, de fragilité, et de perte de maîtrise sur sa vie et son environnement, et donc d’accepter une aide vis-à-vis d’autrui. Des différences existent entre hommes et femmes, entres jeunes ménages et personne âgée isolées dans les manières de gérer cette transition. Les témoignages des professionnels montrent la différence entre les transitions dues à l’avancée en âge avec des ruptures et un basculement liées à un accident, au décès du conjoint et les ruptures des ménages les plus jeunes liées à un parcours social et familial très difficile.
Les refus de soins ou d’accompagnement social sont des actions que l’on retrouve également lors de mise sous tutelle ou curatelle des personnes. Il existe une ambivalence dans la mesure qui se caractérise souvent par un mélange de refus et d’acceptation, de violence et de soulagement. La prise de conscience de la dégradation de son propre lieu de vie génère cette ambivalence. En matière de lutte contre l’habitat indigne, la prise en compte de cette ambivalence est primordiale. Elle est déjà au cœur de l’activité des professionnels sanitaires et sociaux. La médiation sanitaire et sociale devient alors un outil pertinent pour ne pas se voir opposer un refus d’intervention mais garantir néanmoins une protection minimale.
Chaque situation d’habitat indigne évoquée par les professionnels est le processus d’une histoire spécifique et ouvre à des potentialités elles-mêmes particulières. La singularité des situations trouve son origine dans l’interaction des dimensions sociales, familiales, médicales, scolaires et professionnelles. Toutefois, il est possible d’identifier des traits communs à des familles de parcours semblables, traits communs qui permettent de prévoir un ensemble de moyens dont la mise en œuvre devra ensuite répondre à la singularité des situations. Développer un repérage de l’habitat indigne pertinent exige donc de caractériser la diversité des parcours dans leurs traits communs.
Ecouter et impliquer les personnes : principes éthiques et conditions de l’efficacité de l’aide
Accepter le repérage pour améliorer les conditions de traitement d’une situation.
Tout le monde s’accorde pour dire qu’il est fondamental pour une personne d’être impliquée dans les décisions qui infléchissent son parcours. L’inscription du principe du libre choix des personnes dans la loi, depuis 2002, a marqué une avancée considérable dans la prise en compte de la parole des personnes. Même les personnes qui bénéficient d’une mesure de protection juridique prennent seules les décisions qui les concernent, notamment quant au lieu de résidence. Néanmoins, dans certaines situations, il est difficile de comprendre ce qu’est l’expression de la personne. Comment, pour les professionnels, réussir à respecter l’autonomie des personnes tout en les protégeant ? Ce que nous pouvons retenir est que la prise en compte de la parole des occupants n’est pas seulement une question d’éthique, mais aussi une condition de l’efficacité de l’aide, que ce soit lors du repérage ou dans le cadre d’un programme de réhabilitation, de rénovation d’un logement.
Les solutions les plus pertinentes vont être généralement élaborées lors d’une négociation au long cours entre professionnels sociaux et ménages concernés. Un basculement doit s’opérer quand la négociation échoue au bout d’un certain temps et que les conditions de sécurité des uns et des autres ne sont plus garanties. Cela nous montre une nouvelle fois l’importance de compétences en « médiation ».