Oui, les maisons de santé peuvent être un moteur d'aménagement du territoire !

Oui, les maisons de santé peuvent être un moteur d'aménagement du territoire !
 Face au déclin de l’offre de soins sur de nombreux territoires, la question de la répartition spatiale, de sa qualité et de son accessibilité constitue une préoccupation majeure dans le maillage des services publics. Les cris d’alerte de certains élus et le succés relatif des différents dispositifs mis en œuvre ou soutenus par l’Etat et les collectivités territoriales témoignent de cette situation. Les acteurs locaux font le constat d’une fragilisation du droit à la santé et d’une augmentation des inégalités de l’accès aux soins. La structuration de l’offre de soins de premier recours sur les territoires les plus fragiles est au cœur du débat.
C’est à ce niveau que les maisons de santé et centres de santé interviennent comme outils d’élargissement de l’accessibilité mais également d’une offre de santé et de soin différente, plus adaptée à la transition épidémiologique : vieillissement de la population, développement des maladies chroniques, souhait de rester le plus longtemps possible au domicile pour des populations fragiles ou en risque de dépendance… 
L’approche méthodologique développée par NovaScopia s’appuie sur plusieurs constats relatifs au déploiement progressif de nouvelles formes de services de santé pluri professionnel.  Nous souhaitons les partager ici avec vous.
 
CONSTAT 1 : Projet immobilier versus projet de santé
Dans le développement des maisons, pôles et centres de santé, une erreur a été souvent commise, notamment par les collectivités territoriales, c’est de mettre en avant le projet immobilier (on construit d’abord les murs) sans associer les professionnels de santé concernés (directement ou potentiellement). Une maison de santé, ce n’est pas une maison médicale. En effet, il doit y avoir un projet de santé partagé et élaboré entre l’ensemble des professionnels concernés. Malheureusement, cela n’a pas toujours été le cas. Des difficultés de coordination interne ou encore d’accessibilité à l’offre de soins ont alors émergé.
 
CONSTAT 2 : Une superposition des dispositifs néfaste pour la coopération des acteurs de santé
Une maison, un pôle ou un centre de santé couvre un territoire de proximité. Or, il existe aujourd’hui plusieurs difficultés liées à ce que l’on appelle le millefeuille territorial. Chaque administration de l’Etat a son propre découpage, ce qui rend l’aménagement du territoire, au niveau des services offerts (santé ou autres), particulièrement complexe et incompréhensible pour les citoyens-usagers mais également les professionnels (et parfois les décideurs eux-mêmes !). La loi santé de 2016 est illustrative de cette dérive. En effet, en voulant favoriser l’organisation de la proximité (ce qui est légitime et souhaitable), elle empile les dispositifs (en plus des Contrats locaux de santé qui ont été mis en place à la suite de la loi HPST) : l'équipe de soins primaires, la communauté professionnelle territoriale de santé, le contrat territorial de santé, le pacte territoire santé , le groupement hospitalier de territoire, le contrat territorial de santé mentale , le projet territorial de santé mentale, les plateformes territoriales d’appui, le conseil territorial de santé , le diagnostic territorial partagé.
 
CONSTAT 3 : Innovation, éducation thérapeutique du patient, télémédecine… Des moteurs pour l’attractivité
Au cours des 10 dernières années, les maisons, pôles et centres de santé ont été des terrains d’innovation en termes d’organisation de l’offre de santé et de soin : développement de l’éducation thérapeutique du patient, de la télémédecine, universitarisation de ces structures (formation et recherche en lien avec les Départements de médecine générale des Facultés de médecine)… C’est un atout essentiel pour rénover l’offre de santé et de soins mais également attirer des jeunes médecins dans des territoires où ils ne seraient jamais allés.
 
CONSTAT 4 : Une coopération aléatoire avec les services hospitaliers
La question de la permanence des soins et l’articulation avec les urgences est un point très important. Aujourd’hui, cette permanence des soins est souvent mal assurée : cabinets ouverts aux heures de bureau, prise de relais parfois mal assurée (ou perçue comme telle) par des systèmes de garde régulés au téléphone (niveau départemental ou régional), gestion aléatoire des vraies ou fausses urgences avec pour conséquence un déport trop fréquent vers les services hospitaliers… ; il y a également sur cette question, l’articulation défaillante (pas uniquement autour de la question des urgences) avec les services hospitaliers de proximité et les spécialistes.
 
Les travaux en cours de NovaScopia tentent de décrypter les liens entre accessibilité aux soins, aménagement du territoire et déploiement de services de santé. Quatre enjeux clés structurent notre démarche.
 
ENJEU 1 La réponse à des enjeux nationaux : Mieux répartir les soins de premiers recours et contribuer à la réduction des inégalités territoriales de santé.
 
La France recoupe des réalités territoriales très diverses en matière d’accès aux services et en particulier d’accès aux services de santé. Les habitants des zones rurales, péri-urbaines ou des quartiers populaires connaissent davantage de difficultés d’accès aux services que les citoyens de  certains territoires ayant une offre importante, plus particulièrement située dans le sud du pays. C’est à partir des années 80 et face au constat de l’augmentation des inégalités des Français devant les services (publics) que le législateur s’est emparé du sujet. La première loi traitant de cette problématique a été la loi Montagne (1985), elle visait l’amélioration des services publics en montagne. Quelques années plus tard, tous les départements seront concernés par le sujet avec la loi sur l’Orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (1995). Les arrêtés s’intéressaient à l’époque exclusivement aux « services publics » et non à « l’accessibilité des services au public ».
La (dé)structuration des services, l’obligation de rationalisation des dépenses publiques et les mutations technologiques de ces dernières années  nous amènent aujourd’hui à mieux appréhender l’utilité du service tout en dépassant les cloisonnements relatifs à la nature des structures (public, privé, marchand, non-marchand). Par ailleurs, une dimension nouvelle du concept « d’accessibilité » s’en trouve renforcée. Elle dépasse les enjeux physiques et matériels pour aborder l’amplitude des plages horaires, les critères d’admissibilité, les délais d’attente mais aussi l’ergonomie technique (sur une plateforme électronique et sur internet par exemple) si le service est dématérialisé.
En ce qui concerne l’offre de soins, deux tendances de fond illustrent le besoin de réviser le modèle de service proposé aux populations. D’un côté, on observe une raréfaction des professionnels de santé sur les territoires dit « fragiles » (très peu dense ou en quartiers politique de la ville) ; de l’autre côté, la prévalence des maladies chroniques et les niveaux de précarité sont souvent plus élevés que dans les autres territoires. Dans cette optique, l’accessibilité aux soins ne se limite pas à la disponibilité d’un service, tel qu’un centre de santé pluriprofessionnel (CSP) ou une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), mais aux autres facteurs qui contribuent à rendre ce service effectivement utilisable par tous. L’accessibilité dépend également des médiations prévues face à d’éventuelles barrières administratives, culturelles ou linguistiques.
Pour comprendre ces évolutions, trois facteurs au moins expliquent l’accroissement actuel de l’inégale répartition l’offre de médecine générale sur le territoire.
  • Un habitus qualitatif spécifique à la médecine libérale en France. La liberté d’installation fait partie des grands principes de la médecine libérale qui figurent dans la charte de la médecine libérale de 1927 et sont codifiés à l'article L.162-2 du Code de la sécurité sociale. Si elle n’a pas valeur constitutionnelle, cette liberté d’installation est reconnue par la jurisprudence administrative  et n’a pas été remise en cause par les autorités de santé passées et actuelles (même si elle a souvent été discutée et appliquée par voie conventionnelle pour la profession d’infirmière).
  • Un levier quantitatif. Le numerus clausus instauré en 1971 est un levier puissant des politiques publiques pour limiter le nombre de médecins, sans garantir leur juste répartition. Dans une période qui a débuté en 2002 et qui est estimée par la DRESS jusqu’en 2020, le nombre de médecins formés en France et en activité va décroitre en France. Ce nombre correspondait en 2004 à la moyenne des pays de l’OCDE (3,3 pour 1 000 habitants) mais est inégalement réparti entre régions, et surtout au sein d’une même région entre bassins de vie au profit des milieux urbains et parmi les villes, au profit des métropoles et au détriment des périphéries.
  • Un facteur sociodémographique. D’un côté, une génération de « médecins de campagne » qui tente de se regrouper puis de se trouver un/une remplaçant(e). De l’autre, une jeune génération qui cherche de nouveaux modes de rémunération, ou du moins un panachage, ainsi qu’un cadre de vie, des horaires et un lieu de travail conciliables avec la vie de famille. Un retard également à l’installation en libéral, seul un médecin sur 10 s’installant en libéral dès la fin de son internat.
Ces trois facteurs se conjuguent pour caractériser l’organisation de l'accès aux soins en France par une inégale répartition sur le territoire structurelle et historique, qui va s’accroissant de façon conjoncturelle. Pour y faire face, les politiques publiques ont, depuis 2004, régulièrement réaffirmé la place des soins de premiers recours et l’importance de la coordination en médecine ambulatoire, tout en expérimentant puis en mettant à l’échelle de tous les territoires de nouveaux modes de pratique, de coordination et de rémunération.
La crise de la démographie médicale doit tout de même être modulée à partir de plusieurs constats : 1. L’augmentation significative du numérus clausus des étudiants en médecine depuis plus d’une décennie va certainement commencer à produire des effets dans les années qui viennent ; 2. La tension existante et actuelle en ce qui concerne les généralistes s’efface progressivement par exemple pour les infirmières et les sages-femmes (il y a même actuellement des risques de chômage en ce qui concerne les promotions sortantes) ; 3. La notion de transfert de compétence (infirmières cliniciennes) pourrait permettre de donner des perspectives intéressantes et desserrer les contraintes liées au manque de généralistes ; 4. Les MSP permettent en principe (et en raison de leur mode d’organisation) aux professionnels de santé de se dégager de certaines tâches administratives et de libérer du temps médical.
Après avoir mis le médecin traitant au centre du parcours de soin coordonné en 2004, les lois de santé ont régulièrement rappelé l’importance de la médecine ambulatoire et de la coordination autour des soins de premiers recours. La loi de modernisation de notre système de santé n°2016-41 du 26 janvier 2016 conforte ce positionnement: l'accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité, qui s'apprécient en termes de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité.
 
ENJEU 2 : Déployer les MSP et CSP pour faire face à l’enclavement ou à la fragilité de l’offre de soins de premiers recours
Des dispositifs au service d’un redéploiement des soins de premiers recours
 
En mars 2017, la DGOS recense 910 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) en fonction, 334 en projets. Sur les 1900 centres de santé recensés par la CNAMTS, on compte environ 450 centres de santé pluriprofessionnels (CSP). Le système de santé garantit à tous les malades et usagers, à proximité de leur lieu de vie ou de travail, dans la continuité, l’accès à des soins de premiers recours. Ces soins comprennent la prévention, le dépistage, le diagnostic et le traitement des maladies et des affections courantes ; la dispensation des médicaments, produits et dispositifs médicaux ; en tant que de besoin, l’orientation dans le système de soins ; l’éducation pour la santé.
Bien que mis à mal sur leurs répartitions spatiales, les soins de premiers recours sont régulièrement mis en avant et soutenus non seulement dans les lois et règlements de la République, mais aussi  lors des grandes échéances électorales nationales comme une réponse adaptée au besoin de maillage des soins dans les territoires.
La loi de modernisation de notre système de santé a prévu différentes démarches en mode projet, à l’initiative des acteurs ou pilotées par les ARS, qui toutes contribuent à faire évoluer l’offre en santé au service des parcours, de la qualité et de la sécurité des prises en charge et de la réduction des inégalités territoriales de santé. Sont à prendre en compte : Les deux dispositifs objets de la présente évaluation, les MSP et les CSP. Par ailleurs, d’autres dispositifs sont également codifiés dans le Code de la santé publique et le Code de la sécurité sociale comme : les équipes de soins primaires (ESP), et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Face aux mutations des équilibres territoriaux, les nouvelles formes d’exercice coordonné en santé constituent ainsi un outil d’aménagement des territoires.
 
ENJEU 3 : Une opportunité pour imaginer de nouvelles formes de redéploiement sur les territoires les plus fragiles
 
Une double logique se profile :
  • Une logique d’aménagement de l’offre de soins sur un territoire, avec l’objectif d’identifier les conditions de réussites et d’échec d’une structure d’exercice coordonné.
  • Une logique de réduction des inégalités sociales et territoriales en santé par l’objectif de répondre aux besoins des populations présentant des signes de vulnérabilités et des risques d’exclusion, faute d’accès aux services.
Jusqu’en 2013, de nombreux travaux ont déjà été menés et fournissent un premier niveau de connaissance. L’IRDES indique notamment que ces structures sont majoritairement implantées dans des espaces à dominante rurale plus fragiles en termes d’offre de soin. Dans les espaces à dominante urbaine, dans lesquels ces structures sont moins présentes, la logique d’implantation suggère également une logique de rééquilibrage de l’offre de soins de premiers recours en faveur des espaces périurbains moins dotés. Les centres de santé, qui ne sont pas objets des travaux de l’IRDES, sont eux plus nombreux dans les milieux périurbains et prioritaires au sens de la politique de la ville.
 
ENJEU 4 : Une opportunité pour réfléchir également à l’optimisation de l’offre
 
Dans les travaux en cours, il s’agit aussi de prendre en compte les évolutions fortes, actuelles ou à venir, concernant par exemple :
•     les effets du vieillissement démographique et la hausse des maladies chroniques,
•     les impacts de la crise et la progression de la pauvreté,
•     la progression des déplacements domicile-travail (cf. extension des aires urbaines),
•     l’émergence de nouvelles pratiques telles que la télémédecine,
•     l’expansion de l’immatérialité, du virtuel, de l’éclatement des distances et du temps.
La gestion des cas complexes et le lien avec les services médico-sociaux et sociaux est également une vraie difficulté. Ces situations sont de plus en plus fréquentes et il est inconcevable que le généraliste assure la coordination de cette prise en charge, dont le caractère médical n’est pas le seul (services à la personne). Dans ce domaine, les expérimentations se multiplient depuis des années ainsi que l’accumulation des dispositifs de coordination, sans mise en place de dispositifs pérennes en lien avec les aidants professionnels ou « naturels » (famille, voisins).
En ce qui concerne la e-santé, il existe un décalage significatif entre les solutions techniques existantes et les usages. Cela concerne bien évidement le DMP et son déploiement mais également la télémédecine ainsi que les objets connectés à domicile ainsi que la domotique (lorsque l’on veut maintenir les personnes chez elle). Les professionnels, même dans les maisons de santé ont du mal à s’approprier ces outils et c’est la même situation pour les patients, les usagers et leur famille. Si l’informatisation des cabinets est maintenant quasiment généralisée, le partage des dossiers à l’intérieur des MSP reste compliqué même s’il comporte aujourd’hui une dimension interdisciplinaire. Sauf exception la e-santé n’apparait pas aujourd’hui comme facilitatrice dans les pratiques quotidiennes. Un programme expérimental « Territoire de soin numérique » est actuellement mis en place dans 5 régions et en voie d’extension. Il serait peut-être intéressant de cibler une MSP concernée.
Ainsi, la stratégie de NovaScopia est-elle aussi une réflexion portée sur l’efficience et l’efficacité de l’offre de soins, mettant en perspective les moyens mobilisés au regard des besoins à satisfaire aujourd’hui et demain, identifiant et valorisant les potentiels de mutualisation.
 
Yann Moisan, François Baudier, Hugo Tiffou.
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